Visionnaire de l'invisible
La littérature
Une saison en littérature
Olivier Clément
(Desclée de Brouwer - 2013)
Pour un christianisme ouvert au monde
Dans l’introduction de ‘Une saison en littérature’, Franck Damour présente au lecteur Olivier Clément, théologien, historien et écrivain, décédé en 2009. Il souligne combien la réflexion d’Olivier Clément a été nourrie de la tradition orientale. Cette tradition est amour de la beauté qui est inséparable de la sainteté et la sainteté est révélation de Dieu. C’est pour Olivier Clément un des leviers les plus puissants du christianisme aujourd’hui : affirmer que l’être du monde est beauté. « La fraction d’humanité marquée par le christianisme et surtout par le christianisme occidental, a unifié la planète, mais dans la perspective de maîtrise donc de destruction. Le temps vient d’un christianisme de transfiguration où la beauté ne sera plus une symbolique, mais le dévoilement de la réalité. » (p. 18)
Olivier Clément ouvre son œuvre ‘Une saison en littérature’ par une réflexion sur le christianisme d’aujourd’hui. Il définit la vocation de l’homme en lui donnant le nom de ‘créateur créé’. A cause de cette vision de l’homme, le christianisme du 21ème siècle ne sera ni un moralisme, ni un piétisme. La spiritualité qui animera les chrétiens tiendra en ces mots : « Plus on s’enfonce en Dieu, plus on devient responsable des hommes. » Les chrétiens du 21ème siècle sont donc appelés « à faire resplendir dans le Christ qui vient, les étincelles partout présentes du Saint Esprit. » (p 20) En remplissant cette mission, les chrétiens annoncent la victoire du Christ sur la mort et l’enfer qui enferment l’homme sur lui-même. Que les chrétiens remplissent leur mission en s’ouvrant au monde et à Dieu pour que l’homme découvre « les secrets de la gloire de Dieu dans les êtres et les choses. » comme le dit saint Isaac le Syrien. Pour accéder à la contemplation de la gloire de Dieu, Olivier Clément invite les chrétiens à s’interroger sur l’idée qu’ils se font de Dieu : « Dieu n’est ni l’auteur de la mort, ne le responsable du mal, il est le crucifié du mal qu’il souffre avec nous pour nous ouvrir les voies de la résurrection. » (p 28)
Les chrétiens qui ont l’amour de la beauté au fond d’eux, ont mission de découvrir la lumière qui brille au cœur de l’humanité. C’est dans cet esprit que Olivier Clément lit les œuvres de Sartre, Rimbaud, Camus, Eliot, Vigée, P. Emmanuel, Dostoïevski, Soljenitsyne et L. Bloy.
C’est avec ce cœur de poète que Olivier Clément commence par nous inviter à rencontrer trois écrivains.
Jean –Paul Sartre est « définit l’homme comme une liberté irréductible, capable d’éclairer, donc de modifier, tous ses conditionnements.» (p 37) Il a ignoré le grand renouveau spirituel provoqué par la seconde guerre mondiale car pour lui l’homme n’exprime pas sa tension vers Dieu mais vers le néant. Comment prendre sa propre liberté pour but sans prendre celle des autres ? Olivier Clément, attentif à toute lumière qui brille dans les ténèbres écrit : « Avec la mort de Sartre, le débat entre l’athéisme et le nihilisme s’achève. Si l’on veut sauver le sujet éthique, c’est-à-dire l’homme, il ne reste plus que le spirituel. Sartre lui-même l’avait pressenti avant de mourir. » (p 49)
Arthur Rimbaud qui découvre Dieu libérateur. Il, est descendu dans notre enfer le plus opaque pour nous libérer. « Dans Génie, un nouveau visage de Dieu apparaît, un Dieu qui inspire la force créatrice de l’homme. » (p 34) Ces visions vont s’effondrer quand il va se butter au christianisme empêtré de piétisme et de moralisme. A la suite d’un cancer des os, aidé par sa sœur, il retrouve la sérénité et il prie le Christ en croix et rêve de partir en mer : « Sur la mer, que j’aimais comme si elle eût dû me laver d’une souillure, je voyais se lever la croix consolatrice. » (p 62)
Albert Camus se définit ainsi dans la préface de L’envers et l’endroit « La misère m’empêche de croire que tout est bien sous le soleil et dans l’histoire, le soleil m’apprit que l’histoire n’est pas tout. » Dés sa jeunesse, Camus va lutter pour la justice en voulant rendre à chaque être sa valeur de miracle ayant conscience que seul l’amour peut rendre l’homme à lui-même. Mais l’homme doit se révolter pour ne pas être traité en chose. « Je me révolte, donc nous sommes. » Pour saisir l’originalité de la pensée de Camus, il faut la situer dans l’histoire. Les responsables comme Robespierre ont oublié la réalité irréductible du mal, réclamant la pureté en arrivent à tuer puisque aucun être humain n’est capable de cette pure vertu. « D’autres, les nihilistes, ne voient, dominant le monde, qu’un mal absolu, alors tout est permis et ils tuent. D’autres enfin, les communistes, renvoient le bien au bout du mal, le mal devant un jour s’épanouir en bien et, en attendant cet heureux jour, ou pour le hâter, ils tuent… » (p 82) Camus, à la fin de sa vie insiste pour dire que l’issue de l’histoire est à rechercher dans l’amour. « Je me découvrais à Tipasa qu’il fallait garder intact en soi une fraîcheur, une source de joie, aimer le jour qui échappe à l’injustice, et retourner au combat avec cette lumière conquise. » (p93)
On peut dire que son interprétation fait découvrir au lecteur passionné de littérature, la profondeur souvent cachée de ces auteurs.
Avril 2013, R.P.