Visionnaire de l'invisible
La littérature
Effacement de Dieu
Gabriel Ringlet
(Albin Michel - 2013 )
La foi pétrie de poésie
Depuis les psaumes et le Cantique des cantiques, la foi est pétrie de poésie.
Le livre de G.Ringlet : Effacement de Dieu est une invitation à trouver les traces de la poésie monastique dans l’existence de ceux qui ont choisi eux aussi, l’effacement, la discrétion, le silence.
Gabriel Ringlet imagine un 5ème voeu chez ces moines (après le 4ème de stabilité) le voeu d’effacement, le voeu de faire peu de bruit autour de Dieu. D’accepter qu’il s’en aille, qu’il revienne, et se tenir dans l’ombre, si heureux d’accueillir de temps en temps une petite cuillerée de lumière.
Et il sort du cloître six d’entre eux de Landevennec à Tibhérine et un architecte.
Ils ne sont pas les premiers à tisser de la poésie dans les monastères. Bien avant eux, Bernard de Clairvaux, Hildegarde de Bingen, Thérèse d’Avila ont ouvert la voie. Ils disent Dieu autrement, avec douceur et élégance, avec puissance et finesse.
D’ailleurs avant d’écrire eux-mêmes, ces moines ont été touchés, bouleversés par la poésie. Les prières de François d’Assise, les textes brûlants de St Jean de la Croix, l’émerveillement du Cantique des Cantiques.
Dieu s’approche à pas de porcelaine
« Il y a une relation très intime entre leur vocation, la poésie n’est pas une ornementation mais une manière d’être moine. »
Ils sont confrontés du matin au soir à l’Ecriture, que ce soit par la récitation des psaumes ou la méditation biblique
Un ange passe entre les pages,
Son aile te sert de signet.
Dire peu, seulement pour donner à penser. Le langage apophatique dont parle les premiers Pères de l’Eglise, c’est comme l’ange gardien de Dieu avec un doigt sur la bouche
La parole de Dieu tient dans « un détail », « une miette » « un brin d’herbe » « un simple iota. » On se met à ramasser un rien, dans la bouche du centurion « seulement une parole » un rien, sous la table de la Cananéenne, un rien, qu’un tabouret au pied de Jésus à Béthanie, un rien, un sycomore à Jéricho, comme une échelle de Jacob !!!
Le poète théologien ne parle pas de Dieu ni sur Dieu ; il parle-Dieu, il balbutie comme Jérémie, il danse comme David, il boit comme Elie au terrent du Kérib, « il regarde par la fenêtre, épie par le treillis ». Il évoque, il suggère, il fait allusion. Des poèmes comme des étincelles. On n’enferme pas les étincelles sauf pour les éteindre ! On peut en laisser jaillir quelques-unes et l’on comprend qu’elles sont écrites à la clarté de la chandelle.
Au passage on y relit thomas Merton nous qui avions tant lu La nuit privée d’étoiles, car ces moines franchissent les espaces, celui de Scourmont (en Belgique) est ami très proche du cistercien du Kentucky. Au passage encore d’autres poètes que nous avons aimés, ou la poésie de l’image et du repas dans des hommes et des dieux. D’ailleurs Tibhérine, n’est-ce pas ce rien qui dit tant…un nom de rien qui est devenu immense
Parfois on se dit : À quand une parole de Dieu qui dépayse, à quand une parole étrange qui résonne comme une surprise ? Celle de Jésus fut de celles-là, mais les discours la diluent souvent.
La poésie que nous offrent ces théologiens-poètes est ouverte, elle ne conclut pas, elle laisse entrevoir, éveille le désir. Et la prière. Et le lecteur devient complice.
On comprend que Dieu ne se laisse approcher que de dos et dans le tâtonnement, dans le trébuchement et qu’il se ne révèle qu’en s’effaçant.
Faut-il vous livrer quelques textes : Sitôt le Seigneur s’en est allé nous avons eu Vent de lui.
Ou celui de cette moniale au puits de Jacob :
Assis près du puits,
Tu me parlais tout bas,
Je n’étais pas encore assez près
pour entendre ta voix.
Alors tu te levas, fis briller dans l’eau,
Ton visage.
Et je bus avec l’eau, ton sourire.
Soudain
mon puits retentit de toutes les paroles
entendues tout bas.
Je l’ai trouvé Celui qui me cherchait.
Ou bien du moine de Landevennec :
La neige n’a pas de verso
Mais comme elle soigne bien sa mise page
Comme elle invite au voeu d’effacement.
N.B. Je ne vous invite pas à une lecture facile. Il y faut mettre de la patience, de la disponibilité, du silence. Mais le goût subtil et rafraîchissant demeure longtemps en vous, bien après la lecture. C’est une invitation au voyage !
Juillet 2013 - Denise Métivier