Visionnaire de l'invisible
La littérature
La Joie de l'Évangile
Pape François
(Cerf - 2013)
Partager la joie évangélique dans notre monde si dramatique :
une utopie ?
Dans son exhortation apostolique du 24 novembre 2013, le Pape François écrit que « La joie de l’Evangile remplit le cœur et toute la vie de ceux qui rencontrent Jésus. Ceux qui se laissent sauver par lui sont libérés du péché, de la tristesse, du vide intérieur, de l’isolement. Avec Jésus, la joie naît et renaît toujours.» (n°1). Il les invite à partager cette joie évangélique dans un monde blessé mortellement par toutes les formes de visages de la violence. Est-ce un rêve que d’écrire que la joie de l’Evangile remplit aujourd’hui le cœur des disciples de Jésus ? Celui qui a la certitude personnelle d’être aimé par Dieu au delà de tout, a la joie de Dieu en lui. Il ne peut retenir le désir de la communiquer aux autres. Est-ce une utopie que de les inviter à partager cette joie alors que tous ceux qui vivent une situation dramatique, que ce soit en Asie, au Moyen Orient, en Afrique… ? « J’espère que toutes les communautés feront en sorte de mettre en œuvre les moyens nécessaires pour avancer sur le chemin d’une conversion pastorale et missionnaire, qui ne peut laisser les choses comme elles sont. » (25) Provoqué par cette exhortation, nous avons imaginé un diocèse prenant au sérieux cette invitation du Pape, qui a bien conscience que les communautés n’aident guère les disciples de Jésus a goûter la joie de se savoir aimé de Dieu :
Venant du sud, le pape François décrit le drame de notre monde.
Nous vivons un bouleversement culturel avec notre milieu et dans notre cité. Certes, on peut constater des progrès immenses dans tous les domaines notamment dans le cadre de la santé, de l’éducation et de la communication. Mais une partie des hommes et des femmes de notre département ou de notre milieu vivent dans une précarité quotidienne aux conséquences funestes. L’être humain devient un objet de consommation qui peut être utilisé puis jeté. « Nous vivons une mondialisation de l’indifférence. » Comme notre époque nie le primat de l’être humain, l’appétit du pouvoir et de l’avoir n’a plus de limites. La première place est occupée par ce qui est extérieur, immédiat, visible, rapide, superficiel, provisoire. Chacun veut être seulement porteur de sa vérité subjective et n’a plus envie de participer à un projet qui dépasse ses désirs personnels. La société technique a multiplié les occasions de plaisir sans secréter la joie. Beaucoup de nos contemporains sont isolés et tristes. Cette situation se traduit par le refus de l’éthique et de Dieu.
Notre milieu ou département baignent dans la mondialisation. Le Pape François venant d’Amérique du sud, écrit que dans nos villes beaucoup ont les mains qui ruissellent de sang à cause de leur complicité confortable et muette devant la traite des personnes que ce soit dans certaines usines clandestines, dans les réseaux de prostitution, devant les enfants utilisés pour la mendicité, devant ceux et celles qui doivent travailler cachés parce qu’ils n’ont pas été régularisés. (211)
Dans sa lettre adressée à plus d’un milliard de chrétiens, le Pape François dresse un portrait dramatique du monde d’aujourd’hui et pose de cruelles questions à la société et à son Eglise. Mais pourquoi a-t-il intitulé son exhortation La joie de l’Evangile et non pas Changeons ensemble ce monde pourri par la passion de certains pour les richesses, le pouvoir, la possession ou la domination ?
Le regard de foi sur notre monde
Au cœur de ce monde si injuste, le Pape partage sa foi en un Dieu qui attire les hommes pour les unir à Lui. Il envoie son Esprit dans leurs cœurs de tous « pour en faire des fils, pour les transformer et pour les rendre capables de répondre par leur vie à son amour. » (112) François appelle les disciples de Jésus à porter sur notre monde le regard de Dieu. Ce regard de foi est capable de reconnaître la lumière que l’Esprit Saint répand toujours dans l’obscurité…Qui a ce regard de foi qui met les disciples de Jésus en recherche des semences que l’Esprit Saint sème dans notre monde en pleine mutation ? Qui parmi nous fait voir que l’eau peut être transformée en vin et découvrir le grain qui grandit au milieu de l’ivraie. (84) Aussi, à la suite de cette lettre du Pape, chacun est appelé à se demander en qui l’Esprit Saint sème actuellement dans notre département, notre milieu des graines de vérité, de justice et de paix ?
Prés de chez nous (et peut être nous-mêmes) beaucoup cherchent Dieu secrètement. (14) Dans la vie quotidienne, les citadins luttent très souvent pour survivre et dans cette lutte se cache un sens profond de l’existence qui implique habituellement aussi un profond sens de l’existence, de la dignité, un autre sens religieux que le nôtre. (72) Les disciples de Jésus sont mis au défi de répondre adéquatement à la soif de Dieu de beaucoup de personnes afin qu’elles ne cherchent pas à l’assouvir avec un Jésus Christ sans chair et sans un engagement avec l’autre. (89) L’Evangile nous invite toujours à courir le risque de la rencontre avec le visage de l’autre, avec sa présence physique qui interpelle avec sa souffrance et ses demandes, avec sa joie contagieuse dans un constant corps à corps. (88)Où apprenons-nous à découvrir Jésus dans le visage des autres, dans leur voix, dans leurs demandes ? (91)
Les fruits de la présence des chrétiens au monde d’aujourd’hui
Beaucoup, dans le monde, ont été intrigués par la lettre du Pape car elle était écrite par un homme qui a pris des risques pour vivre l’Evangile dans des situations dramatiques. Cela nous amène à penser que le pape s’est nourri de son expérience pour décrire les fruits de la présence des chrétiens au monde d’aujourd’hui. Le Pape a été témoin que les disciples de Jésus de son pays, qui à la suite de Jésus, avaient donné leur vie, ont porté beaucoup de fruits. Ceux et celles qui ont vécu leur foi en Jésus ont été appelés à être audacieux et créatif pour rejoindre le peuple. Ils ont laissé quelque chose de meilleur après leur passage sur terre. Ceux et celles qui ont vécu jusqu’au bout ce qui est humain en s’introduisant au cœur des défis comme ferment de témoignage, dans n’importe quelle culture, dans n’importe quelle ville, ont perfectionné leur cité, leur milieu. (75)
L’Esprit, qui vit cette aventure avec eux en a surpris plus d’un par sa constante créativité divine. Les chrétiens ont pris des initiatives, ils se sont engagés non par générosité mais parce qu’ils croient que Jésus les aime et qu’il les a délivrés et poussés à l’aimer encore d’avantage en aimant avec lui tous les hommes… Ils ont aimé Dieu en créant des espaces de fraternité, de justice et de paix, de dignité pour tous, de libération et de dignité des pauvres en ayant écouté leur cri … (180)
A cause de toute cette expérience, le pape définit le chrétien comme un ‘disciple – missionnaire.’ qui a un regard éclairé et affermi par l’Esprit-Saint, un regard toujours éveillé aux signes des temps. (50)
« Nous devons accepter que les autres nous évangélisent constamment. » (118)
Le Pape désire une Eglise pauvre pour les pauvres tout en précisant un point important : « Les pauvres ont une force salvifique en eux. » (198). Le Pape veut une Eglise qui s’enrichit de l’amour de Dieu pour tous les pauvres, une Eglise imprégnées de leur odeur.
L’Eglise est aussi appelée à s’enrichir des cultures. L’Esprit Saint embellit l’Eglise en lui indiquant des nouveaux aspects de la révélation et en lui donnant un nouveau visage en accueillant les valeurs des différentes cultures. Une seule culture n’épuise pas le mystère de la Rédemption du Christ. (118) L’Eglise devient « l’épouse qui se pare de ses bijoux. » Is 61,12 (116). Le besoin d’évangéliser les cultures pour inculturer l’Evangile est impérieux… Aussi, que les communautés chrétiennes se convertissent pour ne pas laisser les choses comme elles sont. (25)
Les communautés seront amenées à faire des choix : Les œuvres d’amour envers le prochain doivent primer car elles sont la manifestation extérieure la plus parfaite de la grâce intérieure de l’Esprit. (37) L’Eglise doit être le lieu de la miséricorde gratuite, où tout le monde peut se sentir accueilli, aimé, pardonné, et encouragé à vivre selon la bonne vie de l’Evangile. « Je préfère une Eglise accidentée, blessée et sale pour être sortie des chemins, plutôt qu’une Eglise malade de son enfermement et qui s’accroche confortablement à ses propres sécurités. Je ne veux pas d’une Eglise préoccupée d’être le centre …» L’Eglise catholique doit renoncer à son confort et avoir le courage de rejoindre les périphéries qui ont besoin de la lumière de l’évangile. (20)
La cité et l’Eglise doivent aussi s’enrichir du génie féminin qui est nécessaire dans toutes les expressions de la vie sociale, par conséquent, la présence des femmes dans le secteur du travail aussi doit être garantie et dans les lieux où sont prises des décisions importantes, aussi bien dans l’Eglise que dans les structures sociales. (103)
Nous pouvons conclure cette présentation de l’exhortation apostolique La joie de l’Evangile en nous inspirant de ce texte combien provoquant : L’Esprit Saint possède une imagination infinie pour pénétrer dans chaque situation humaine, dans tous les liens sociaux des semences de justice, de vérité et d’amour. Il possède aussi une imagination infinie pour appeler continuellement l’Eglise à sortir de son confort, pour le rejoindre dans les périphéries, là où il est.
Avant de mourir, Jésus pria pour ses disciples en ces termes : « Maintenant, je vais à toi et cependant je continue, en ce monde, à dire des choses pour qu’ils aient en eux ma joie et qu’ils en soient comblés. » (Jn 17, 13)
Avril 2014 - Jean-Claude Faivre d’Arcier – Robert Pousseur