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Visionnaire de l'invisible
La littérature

Identités : la bombe à retardement
Jean-Claude Kaufmann
(textuel - 2014)

 

L' Identité, au cœur de notre modernité


   L’identité n’est pas une donnée naturelle. Elle n’est apparue dans l’histoire qu’au cœur de la modernité occidentale. « Tous l’emploient comme si elle renvoyait à une évidence, alors que sa définition incertaine recouvre des enjeux politiques considérables. » (p 10) écrit Jean-Claude Kaufmann. Des  erreurs sont commises sur l’identité : La première est de croire qu’elle renvoie à l’histoire, à la mémoire, aux racines de l’individu. Or l’identité n’est plus définie par les cadres institutionnels qui la portaient. L’identité était alors façonnée par la place sociale occupée dans la société. A notre époque où l’individualisme règne en maître,  chacun cherche à donner un sens à sa vie donc à construire son identité. Les déracinés qui portent en eux une histoire en décalage avec la culture ambiante ont tendance de réécrire leur ‘soi’, leur nouvelle identité. D’ailleurs, chacun est porteur de mille histoires. Aussi toute identité se construit pas une fixation et une réduction provisoire. Comme cette identité subjective est changeante et fragile, chacun cherche à se sécuriser en se clôturant. Il y a ‘moi’ et ‘les autres’. Ceux qui se sentent sur la défensive, menacé d’une perte d’estime de soi risquent de se replier dans des cocons protecteurs qui les séparent des autres. Ce processus identitaire est intrinsèquement lié à la modernité occidentale.

La modernité issue des Lumières se croyait fondée sur la Raison qui devait avoir raison des ténèbres émotionnelles et mystiques. L’identité nationale a représenté une première étape du processus identitaire. Aujourd’hui, elle entre en conflit avec de multiples formes d’émancipation. Mais « L’identité est sans cesse guettée par cette diablesse qu’est l’idée d’une totalité absolue, d’autant plus rassurant qu’elle devient simpliste et exclusive. » (p20) Le ‘retour du religieux’ est impulsé par cette révolution identitaire. Pour ne prendre qu’un exemple, l’islamisme se réfère à une communauté idéale  qui fait basculer l’individu dans un réseau  relationnel contrôlé, fermé, protégeant d’un monde dépravé. L’individu perd alors sa capacité de jugement autonome.

Nous devons nous préparer à vivre la naissance d’un monde radicalement différent du nôtre après des transitions tumultueuses. Les hommes ont pensé pendant des siècles que Dieu commandait tout.  Les hommes l’ont remplacé par la Raison mise en œuvre par eux-mêmes sans avoir conscience qu’elle a donné naissance à une pensée critique qui met en cause continuellement les évidences. Aujourd’hui, l’économie a pris la première place. L’argent permet de réaliser l’idéal des Lumières car l’argent est au service de la liberté individuelle. La ‘civilisation de la marchandise’ a fait perdre à la société le souffle du destin, des causes épiques mais a fait naître une fausse monnaie le jour où en 1971 les Etats-Unis mirent fin à la convertibilité du dollar en or. L’avenir des jeunes est en péril car la dette va reposer sur leurs épaules. Ce fardeau peut provoquer une véritable crise de civilisation.

Un autre petit monde est possible où l’intérêt calculateur passe après l’amitié, l’amour, l’oubli de soi. Le moteur de ce changement serait la passion vue « comme un arrachement à l’ordinaire et à sa médiocrité, qui nous élève à la force des émotions dans un nouvel univers. » (p 38) Les identités seront alors plus fluides et parfois explosives.

Jean-Claude Kaufmann termine son regard sociologique sur notre société par cet acte de foi : « Seule la raison critique peut combattre le désordre des passions meurtrières. »

Pour être lucide sur la société, nous avons certes besoin du regard du sociologue. Mais est-il suffisant ? La raison critique n’existe pas en soi. Elle doit s’incarner dans un homme ayant une histoire, faisant partie d’un peuple qui a sa culture, son sens de l’indicible, son option politique, ses critères pour annoncer ce qui est bon pour l’humanité. Pour être lucide sur la vie-ensemble, nous devons non seulement être lucide sur nous-même, jouir d’une liberté intérieure mais aussi être doté d’une sagesse qui permet d’avoir un regard sur le monde avec nos trois yeux, comme l’exprimerait les orientaux, et savoir discerner le bien du mal.  Mais qui définit le bien et le mal pour l’humanité ?  

Juillet 2014   R. Pousseur

 

 

 

 

 

 

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