Visionnaire de l'invisible
La littérature
Le Royaume
Emmanuel Carrère
(P.O.L. - 2014)
Une
narration passionnante
sur la naissance du christianisme
Emmanuel Carrère présente en quatrième de couverture son livre en ces termes : « A un moment de ma vie, j’ai été chrétien. Cela a duré trois ans. C’est passé. Affaire classée, alors ? Il faut qu’elle ne le soit pas pour que, vingt ans plus tard, j’aie éprouvé le besoin d’y revenir. »
Et il y revient en s’inspirant du le livre des actes des apôtres et de l’évangile selon Luc pour enquêter par quels chemins est né le christianisme. Son récit débute à Corinthe vers l’an 50 après Jésus-Christ. Au début on voit arriver un prédicateur itinérant qui ouvre un modeste atelier de tisserand. Chauve, barbu, terrassé quelquefois par une maladie mystérieuse. Paul raconte d’une voix basse et insinuante, l’histoire d’un prophète crucifié vingt ans plus tôt en Judée. Il dit que ce prophète est revenu d’entre les morts et que c’est le signe avant-coureur de quelque chose d’énorme : une mutation de l’humanité, à la fois radicale et invisible. La contagion opère. Les adeptes de cette étrange croyance se répandent dans les bas-fonds de Corinthe. Communauté de parias et d’élus qui se forme autour de cet événement sidérant : une résurrection.
Que des gens normaux, intelligents puissent croire à un truc aussi insensé, du même genre que la mythologie grecque. Or un tas de gens croient en cette histoire et on les prend au sérieux. Le credo en la résurrection de Jésus est une insulte au bon sens. Et pourtant, combien ont placé cet événement au cœur de leur vie.
Ce livre passionnant a le don de raconter cette naissance en ne scrutant que l’humain. La part de la vie mystique des premiers chrétiens qui donne et une vision des événements, et un regard profond sur les personnes et une force intérieure n’est pas assez prise en compte pour en faire un livre d’histoire. Il le reconnaît honnêtement à la fin de la présentation de son livre en écrivant qu’il a parcouru les textes bibliques non en romancier ni en historien mais en enquêteur n’ayant pas la foi.
Emmanuel Carrère le fils d'Hélène Carrère d'Encause, a une bonne culture russe. Il s'en sert pour illustrer son récit par des images amusantes. Il compare ainsi le sac de Jérusalem par Titus en 70 à Poutine poursuivant les tchétchènes jusque dans les ‘chiotes’ !
Il révère le personnage charismatique de Jésus. L’auteur prévient quand il extrapole. Il écrit que Luc, l’auteur de l’évangile et des actes, est Macédonien parce que ça l'arrange. Quand il y a un blanc dans les Actes il complète. C'est dire qu'on lit avec plaisir. J'ai beaucoup appris sur les relations de Paul et de Jacques parce qu’elles sont relatées dans un style romancé. Son penchant est pour Luc parce qu'il est comme un romancier et qu'il enquête. Il aime Luc parce qu'il atténue les heurts avec gentillesse. Luc a interrogé, il a rencontré Philippe, c'est peut-être un des pèlerins d'Emmaüs... On se laisse aller en lisant. Ce qui m'a coupé le souffle c'est qu'il lit l'Apocalypse comme une plaidoirie contre Paul. L'hymne à l'Amour de la lettre aux Corinthiens de Paul séduit Emmanuel Carrère. C'est vrai que ce texte est renversant. L'auteur rend hommage à Paul.
Novembre 2014 - Sr. D. Métivier / R. Pousseur