Réflexions sur l'Église
Lire le Prologue : L’Église au souffle de l’Esprit Saint
1ère lettre
L’Église au cœur de l’aventure humaine
Moi, votre frère, je vis dans l’épreuve
Avant d’être arrêté et condamné à mort, Jésus avait fait une promesse à ses disciples : « Et moi, je suis avec vous tous les jours jusqu’à la fin des temps » (Matthieu 28, 20) Ce sont les derniers mots de Jésus dans l’évangile de Matthieu. Depuis la résurrection de Jésus, la mort de leur maître n’était plus pour eux une fin mais un passage que Jésus avait franchi.
Pour les destinataires du livre de l’Apocalypse, cette promesse de Jésus d’être avec eux jusqu’au bout, était précieuse car ils étaient en train de vivre un véritable chemin de croix : ils étaient pourchassés par les responsables juifs de Jérusalem. (le diacre Étienne, condamné par le Sanhédrin fut lapidé en suppliant Jésus.), mais aussi par les responsables romains qui s’opposaient officiellement au développement des communautés des disciples de Jésus, répandues dans l’empire. Selon la tradition, Jean, l’auteur de l’Apocalypse, a été banni de la ville de Milet, pour avoir prêché la foi chrétienne, et a été ensuite exilé en l’an 95 dans l’île de Patmos.
Des disciples de Jésus doutent de lui
Des disciples commencent à douter de la promesse de Jésus qui avait annoncé, non seulement qu’il leur resterait uni tous les jours, mais qu’il se manifesterait dans la gloire.
La puissance de Dieu a été plus forte que la mort de Jésus mais elle n’a pas été plus forte que l’emprise de Rome sur Jérusalem. La résurrection de Jésus et le don de l’Esprit reposant sur toute chair, comme l’a proclamé Pierre le jour de la Pentecôte, semblent n’avoir aucun effet sur la violence régnant dans l’empire romain. Les disciples du Christ sont au bord d’une crise. C’est dans ce contexte d’épreuve, que Jean vit avec sa communauté, qu’il écrit l’Apocalypse.
:
L’auteur de l’Apocalypse a une vision
L’Esprit Saint saisit Jean et va provoquer en lui une véritable révolution spirituelle. « Moi, Jean, votre frère dans l’épreuve, je fus saisi par l’Esprit et je vis quelqu’un » (Apocalypse 1,9). La non précision de l’identité de la personne qu’il voit, fait penser à ce que Paul a vécu sur le chemin de Damas. Saül ne respirait que menaces et meurtres contre les disciples de Jésus. En approchant de Damas, une lumière venant du ciel l’enveloppa soudain et il entendit une voix qui lui demandait pourquoi il persécutait les disciples de Jésus.
On ne peut que se demander pourquoi ces visions restent-elles si peu explicites sur l’identité de la personne que Jean aperçoit dans sa vision et sur celle de la personne qui interroge Saül. Avant d’être arrêté, Jésus avait préparé ses disciples à le découvrir dans d’autres visages que le sien. Il avait précisé à ses disciples que ceux qu’ils allaient rencontrer et soulager dans leur pauvreté…ne font qu’un avec lui.
« Venez les bénis de mon Père
recevez en partage le domaine de Dieu qui a été préparé pour vous.
Car j’ai eu faim et vous m’avez donné à manger;
j’ai eu soif et vous m’avez donné à boire;
j’étais un étranger, et vous m’avez accueilli;
nu et vous m’avez vêtu;
malade et vous m’avez vêtu .
Quand nous est-il arrivé de te voir affamé et de te nourrir,
Assoiffé et te donner à boire… ?
Jésus répondu : « En vérité, je te le déclare,
chaque fois que tu l’a fait, c’est à moi que vous tu l’as fait. »
(Matthieu 25,34)
Jésus ne précise pas si celui qui a faim, soif, ou est malade… est juif, païen, ou son disciple…
Pour lui et pour ses disciples, tout Homme est fils de son Père, est son frère, est habité par l’Esprit Saint
Jean voit un agneau debout et portant des marques d’immolation..
Jean voit au milieu de cette assemblée qui entoure Dieu, un agneau debout et portant des marques d’immolation. Cette vision de l’agneau rappelle aux disciples de Jésus que c’est en luttant que Jésus a semé des graines de justice, de vérité avec amour dans l’histoire de l’humanité, jusque dans les ténèbres humaines.
Jésus a envoyé ses disciples dans le monde entier pour faire germer partout ces semences. N’avait-il pas invité ses apôtres, surpris de le voir parler avec une Samaritaine venue seule au puits, d’admirer le peuple samaritain, considéré comme hérétique par les Juifs : « Vous dites : Encore quatre mois et viendra la moisson ? Mais moi je vous dis : ‘Levez les yeux et regardez ; déjà les champs sont blancs pour la moisson ! (Jean 4,44)
L’Église au cœur de l’aventure humaine
La crise que vit l’Eglise au temps de Jean est un temps de renaissance. Alors qu’en cette période de doute et de persécution, on aurait pu penser que l’Esprit Saint allait pousser les disciples à prendre leur distance vis-à-vis du monde et à en profiter pour rendre l’Eglise plus consciente de sa mission. Au contraire, l’Esprit Saint va provoquer l’Eglise à s’immerger au cœur du monde avec, dans la tête et dans le cœur, les paroles confiées par Jésus à ses amis : ‘Levez les yeux et regardez ; déjà les champs sont blancs pour la moisson ! (Jean 4,44)
Les apôtres ont ainsi été amenés à faire confiance en l’amour du Père pour les Samaritains. Le Père leur a fait don de son Esprit Saint qui avait déjà semé, sur la terre de Samarie, ses germes de justice, de vérité et d’amour créateur. Ces champs sont blancs pour la moisson. Jésus révèle à ses amis que ce peuple mal considéré avait eu l’audace de cultiver ces germes à sa façon.
La contribution d'un photographe
Paris - 2009 -
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- © Norbert Pousseur
"...des graines de justice, de vérité avec amour dans l’histoire de l’humanité"
Voici un banc qui était le lieux de prédilection d'un vieux SDF, décédé.
Je ne sais si l'on peut ici parler de Justice, mais via le texte laissé par des habitants du quartier,
on peut sans doute parler d'Amour...
On peut lire :
Il disait :« On me donne tant de choses ! »
avec gratitude
vers les gens du quartier,
si généreux envers lui, qui entendait si mal.
On sait : sa présence difficile aussi,
envahissante,
dérangeante.
Passants, voisins,
la place de son absence est maintenant plus dérangeante encore que sa présence.
Paix à son âme
Cette illustration, juste pour dire que Justice et Amour
devraient être des valeurs universelles
et devraient se vivre dans le réel,
dans la vie quotidienne,
un peu comme nous le disent ces habitants de quartier sur ce memoriam improvisé.
Encore que de nous jours on parlerait plutôt d'empathie et d'ouverture aux autres,
qu'ils soient SDF, immigrés, ou autres tout simplement
La contribution d'un prêtre
Cette méditation sur la présence active de l’Esprit Saint dans la vie des hommes me fait penser à la situation actuelle des peuples autochtones de l’Amérique Latine, que j’ai écoutée de la bouche du Père François, des Missions Étrangères de Paris, qui m’en a parlé avec enthousiasme, amour et respect
Après cinq siècles de colonisation violente (Bibl.1) et d’une évangélisation, souvent menée dans le sillage des militaires, les Églises chrétiennes découvrent et accueillent aujourd’hui les richesses cachées dans les traditions spirituelles et religieuses de ces peuples, alors qu’auparavant elles avaient été méprisées et combattues. Des témoignages de prêtres (Bibl.2) ou d’évêques (Bibl.3) racontent ces efforts d’écoute et de soutien de la parole des paysans, membres des petites communautés qui sont nées dans les villages. Je pense particulièrement à François, que j’ai eu la chance de rencontrer au retour d’un de ses séjours au Brésil où il a passé trente ans.
Un jour de Toussaint, il a été invité dans une communauté qu’il ne connaissait pas encore, au nord de la Transamazonienne. Il a participé à une célébration originale, dont la tradition remontait à l’époque de l’esclavage. Le curé local, formé à l’ancienne école, avait quelques difficultés à s’adapter à ce genre de rite, trop imprégné pour lui de folklore issu du paganisme. En bon occidental, François s’informa du programme en pensant en fonction du déroulement du temps d’horloge et en se préoccupant plus de ce qui pouvait se passer que de l’instant présent. Ses hôtes avaient une autre philosophie qui leur avait permis de survivre et de conserver leur culture. Il ne s’agissait pas de suivre un programme, mais d’entrer avec eux dans leur monde. Le prêtre qui passe, toujours pressé d’aller ailleurs, est comme la pluie qui tombe drue quelques minutes, inonde tout, ravage les plantations et ne pénètre pas profondément la terre. Inutile alors de chercher les traces d’une quelconque évangélisation.
Puis, arriva une troupe d’hommes revêtus de leurs parements de fête, couronne de plumes sur la tête et rythmant les chants avec leurs tambours, pour la ‘’danse du congo’’. Ils se dirigeaient vers le ‘’campo santo’’, lieu où étaient enterrés les ancêtres de la communauté. Avant d’y arriver, il y eut une première pause chez un habitant. Dans la maison, certains s’affairaient à la cuisine, tandis que d’autres sortaient de leur bain dans la rivière. Un groupe attendait le prêtre, des parrains et marraines vêtus d’habits de fête, l’invitant à baptiser quelques nouveau-nés. Puis, la procession repris, enrichie de l’empereur et de l’impératrice, organisateurs de la fête. Après un moment de chants et de danses rituelles, on l’invita à célébrer la messe, de façon improvisée sur un tronc d’arbre avec sa valise-autel. Il était dans l’espace sacré des ancêtres, ignorant en partie la cosmogonie qui régissait leur relation aux morts. Pour eux, les défunts sont partis dans l’autre monde, mais les vivants restent en communion profonde avec eux. Les morts ont besoin de nous pour être sauvés, sauf ceux qui sont déjà au ciel et qui contribuent à notre salut. Il n’y a donc pas de séparation entre les vivants et les morts. La procession repris au son des tambours jusqu’à la dernière maison à visiter où attendait un couple pour se marier. François célébra donc le mariage en ce jour de Toussaint, en conclusion d’un parcours religieux qui avait occupé toute la journée. La communauté, survivante de l’esclavagisme, avait pu célébrer comme elle l’entendait son jour de fête en l’honneur des vivants et des morts. Il n’y avait pas deux rites successifs, chacun animé par son propre ministre. Le rythme de la communauté avait parfaitement intégré la liturgie catholique dont ils se réclamaient. Il s’agissait simplement pour le prêtre de donner valeur à l’expression de leur foi, de la reconnaître.
Les formes de religiosité populaire peuvent donc servir d’éléments solides pour enraciner la foi chrétienne dans la culture des peuples. Les communautés ont un potentiel de créativité qu’il faut valoriser. Chacun doit pouvoir rencontrer Dieu sans renoncer aux racines qui façonnent l’âme de sa culture. Comment concilier le religieux qui prend ses racines dans les traditions afro-brésiliennes avec la symbolique chrétienne ? Les traditions d’Israël se sont construites au cours des siècles en puisant dans les mythes et les récits fondateurs des religions du Moyen-Orient. Au départ, il semble probable que ce soit Israël qui ait choisi son Dieu plutôt que l’inverse. Une réinterprétation postérieure a présenté un Dieu venant du ciel prendre parti pour son Peuple (Bibl.4) . Plus tard le christianisme fut le fruit d’une synthèse de plusieurs traditions, autant juives que gréco-romaines. La majorité des religions s’est formée à partir d’un ensemble de croyances qui se sont développées au cours des âges autour d’un noyau central. Le christianisme, qui est né et s’est développé autour de la Méditerranée, s’il veut rester universel, doit maintenant greffer d’autres cultures et traditions étrangères à la matrice chrétienne. Il nous faut avoir le courage d’avancer dans d’autres eaux, d’aller au large. Paul a ouvert l’Évangile aux nations, rompant avec l’éphémère pour sauver l’essentiel, à savoir l’annonce de Jésus-Christ, mort et ressuscité. Il est temps de l’imiter et de partager entre nous comment l’écoute attentive des personnes nous amène à découvrir les richesses que l’Esprit Saint prépare dans leur cœur.
P. Jean-Claude d’Arcier
Si comme laïc ayant une responsabilité dans l’Eglise, si comme religieux-ses vous avez vécu une expérience du même type que celle transmise par le Père Faivre, si comme responsable d’une communauté qui porte une responsabilité d’Eglise, vous avez été acteurs-trices d’une expérience du même type transmise par le Père Faivre d’Arcier, nous serons heureux de la partager avec les internautes de notre site.
Bibliographie :
1 - Nathan Wachtel, La vision des vaincus, Gallimard, 1971
Eduardo Galleano, Les veines ouvertes de l’Amérique Latine. L’histoire implacable du pillage d’un continent. Terre Humaine Poche, Plon 1971
2 - François Glory, Trente années en Amazonie brésilienne, Karthala, 2016
3 - Jacques Tribout, L’évêque qui refusait le cléricalisme. Léonidas Proano chez les Indiens d’Equateur, Karthala, 2019.
4 - Lire Thomas Römer, L’invention de Dieu, Seuil, 2014
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